«Salina, les trois exils» de Laurent Gaudé
éditions : Actes Sud
Sortie : 2018
Pages : 150
Pays : France
Résumé :
«Qui dira l’histoire de Salina, la mère aux trois fils, la femme aux trois exils, l’enfant abandonnée aux larmes de sel ? Elle fut recueillie par Mamambala et élevée comme sa fille dans un clan qui jamais ne la vit autrement qu’étrangère et qui voulut la soumettre. Au soir de son existence, c’est son dernier fils qui raconte ce qu’elle a été, afin que la mort lui offre le repos que la vie lui a défendu, afin que le récit devienne légende.»
Extrait :
«Au tout début de sa vie, dans ces jours d’origine où la matière est encore indistincte, où tout n’est que chair, bruits sourds, pulsations, veines qui battent et souffle qui cherche son chemin, dans ces heures où la vie n’est pas encore sûre, où tout peut renoncer et s’éteindre, il y a ce cri, si lointain, si étrange que l’on pourrait croire que la montagne gémit, lassée de sa propre immobilité. Les femmes lèvent la tête et se figent, inquiètes. Elles hésitent, ne sont pas certaines d’avoir bien entendu, et pourtant cela recommence : au loin, vers la montagne Tadma que l’on ne franchit pas, un bébé pleure. Est-ce qu’elles sentent, les femmes du clan Djimba, à cet instant, tout ce que contient ce cri ? Le sang qu’il porte en lui ? Les convulsions, les corps meurtris, les bannissements et la rage ? Est-ce qu’elles sentent que quelque chose commence avec ce tout petit cri à peine identifiable, quelque chose qui ne va pas cesser de grandir jusqu’à tout renverser ?»
Avis :
Est-ce que je dois dire à nouveau que Laurent Gaudé est mon auteur préféré ? Lisez la totalité de sa bibliographie vous ne serez pas déçu. «Salina» est écrit avec une finesse parfaite, navigue entre la tragédie grecque, «La mort du Roi Tsongor» et «Pour seul cortège» (2012). Notez que cet auteur a reçu le Goncourt des Lycéens (pour «La mort du Roi Tsongor» 2002) ainsi que le Goncourt (pour «Le soleil des Scorta» en 2004). On retrouve donc la plume incroyable de l’auteur dans ce nouveau roman, très court, qui se lit en une soirée et vous plongera totalement dans le désert et les étendues solitaires d’un continent qui ressemble à l’Afrique. Le personnage principal nous raconte la vie de sa mère, Salina. Dans la lignée d’Andromaque et Antigone, Salina a cette même puissance, la force des héroïnes grecques qui me fascinent. Elle est avide de vengeance, redoutée par tous...et surtout elle est en exil. Elle marche dans le désert, migre vers ailleurs, pleine de haine. Et si les vainqueurs aidaient les vaincus ? S’ils acceptaient de perdre un peu pour sauver les autres ? Si les européens acceptaient d’aider les migrants en Méditerranée ? S’il n’y avait qu’une seule humanité plutôt que de multiples clans d’êtres humains ?
La qualité de la plume n’est plus à prouver et je ne peux pourtant pas m’empêcher d’être à chaque fois amoureuse du choix des mots et de la précision des phrases.
«Salina et les trois exils» ressemble à un conte. C’est beau, d’une élégance folle, d’une tristesse chatoyante.
Conseil de lecture :
A lire dans le fin fond de son canapé par une soirée d’automne. Coupez toute bande sonore parasite, simplement dans le silence pour mieux savourer la lecture. Grignotez des chataignes grillées avec un bon thé au sirop d’érable.